LES NOCES DE CANA : SUR LA ROUTE DE LA FOI

Il n'y a pas de vaines prières, il n' y a que des âmes asséchées.

Faut-il pour autant tourner le dos au Seigneur ?

Une offense délibérément répétée depuis avril 2005 dans la salle des Etats au 1er étage.

Depuis cette date en effet, les Noces de Cana et la Joconde se font face. La Florentine confisquant tous les regards des visiteurs, les personnages de Véronese, dont Jésus, en sont réduits à de simples sujets de sa Majesté. 

Il en va ainsi de l'ombre et la lumière…

Pourtant, difficile d'ignorer la plus spectaculaire oeuvre du Musée. Avec près de 10 mètres de large sur 7 de haut *, sa surface est celle d'un 3 pièces. Un appart qui vous coûterait sans doute plusieurs dizaines de millions d'euros. Un peu cher certes, mais avec vue imprenable sur la Joconde !

Veronese ne se doutait pas que ses 132 personnages auraient un jour une voisine de pallier aussi célèbre. L'oeuvre était destinée au réfectoire du couvent bénédictin de San Giorgio Maggiore (Venise). Elle illustre le Ier miracle de Jésus, accompli lors d'une noce à Cana de Galilée… 

Ils n'ont plus de vin (ils n'ont plus de foi).

A la fin des agapes, les invités se pressant comme raisin en vendange autour des jarres, le vin vient à manquer. L'Evangile de Saint Jean nous révèle que Marie incite alors Jésus a changé l'eau en vin. 

Un acte divin pour étancher la soif des convives, mais surtout pour remettre les âmes égarées sur la route de la Foi.

Un sujet idoine pour le commanditaire, l'abbé Girolamo Scrochetto*. Son cahier des charges n'est pas aussi strict que la règle de Saint Benoit : peinture gigantesque incluant un maximum de personnages. Veronese s'acquitte de sa mission après 15 mois de travail (1562 - 1563). Il reçoit pour son labeur 324 ducats et …un tonneau de vin !

Le résultat est crucifiant de beauté. Ce tableau aux couleurs vives fait littéralement voler la peinture en éclats. Un vrai festin chromatique.

Devant l'immensité du tableau et le nombre insolent de personnages, l'oeil du fidèle se christalise d'abord sur Jésus. En état de grâce, son regard glisse ensuite délicatement sur les visages de la Vierge et de Saint Pierre (à droite du Christ).

Véronese, un véritable maître d'autel.

Impatient voire incrédule, le visiteur cherche en vin la "preuve" de l'acte sacré de Jésus.

Cette oeuvre tient du prodige mais le miracle tient dans la main du serviteur noir situé à gauche de la peinture. A côté des mariés. En vous rapprochant de l'imposante jarre blanche à droite du tableau, le miracle vous éclabousse une seconde foi au visage.  

Les portraits du Titien, du Tintoret, de François 1er voire celui de l'auteur figureraient dans le tableau.

C'est possible mais pas certain.

Ce serait plutôt l'écho d'une rumeur tenace surgit au XVIIIe siècle. Une légende qui ne nourrit pas les convives mais qui nourrit en revanche le mythe de cette oeuvre. 

En tout cas, le plan de table de l'Italien est irréprochable. L 'agilité de sa composition témoigne d'un vrai talent de metteur en cène.

Sur la toile, les symboles bibliques se multiplient plus vite que les pains : voile noir de la Vierge portant le futur deuil de son Fils, morceau d'agneau tranché au dessus de la tête de Christ, annonçant son futur sacrifice. 

Pourquoi messire l'abbé choisit-il Veronese ?

Veronese fait parti des peintres en vogue sur les canaux vénitiens.  Avec Titien et Le Tintoret, ils fixent sur la toile les canons de la beauté picturale de la cite des Doges.   

Né en 1528, Paolo Caliari est le benjamin de ce triumvirat.

Caliari ? alors pourquoi Veronese ? Pas parce qu'il avait les yeux vairons comme Bowie, mais parce qu'il est natif de Verone en Vénétie. Fils d'un tailleur de pierre, lui taillera des chefs d'oeuvre. 

En 1562, Paolo avance vers le crépuscule de sa vie (il meurt en 1578). Il maîtrise avec autorité les sujets mêlant profane et sacré. L'abbé Scrochetto est un berger des âmes, Veronese, un berger des couleurs. Leur rencontre est une bénédiction ! 

Le tableau sera le témoin des repas des cénobites pendant 2 siècles.

La toile se fait la malle

1797, la campagne italienne bat son plein. Napoléon fait plier les Vénitiens mais également la toile en plusieurs morceaux. Le célèbre tribun "emporte" comme tribut le "Veronese".

Défait en 1815, feu l'empereur se voit réclamer la restitution du bien. Denon, alors, Directeur du Louvre, déploie tout son sens de la répartie pour que l'oeuvre ne reparte pas en Italie. "Intransportable !!!". Les vainqueurs en conviennent. Ils se contenteront en échange d'un "Lebrun" un peu moins imposant.

Le tableau apprendra à vivre avec cette épée de Damocles au fil des siècles…

Ainsi lors du conflit de 1870, les 132 personnages trouvent refuge dans le confort rustique de l'arsenal de Brest. En 39-45, déçus par leur expérience bretonne, ils optent pour les Relais et Châteaux : direction Chambord !

En 1992, dernière alerte. Carla Bruni a le mal du pays ; elle pense que le "Veronese" aussi : elle militera pour le droit au retour. Pas le sien mais celui de l'oeuvre. Sans résultat … pour les 2.

L'oeuvre vit désormais sans angoisse et sous l'oeil bienveillant de Mona Lisa et… de son commanditaire. En effet, à gauche des Noces de Cana, le Louvre a opportunément accroché un autre tableau de Veronese figurant l'abbé Scrochetto. Une délicatesse qui l'honore et une tentation qui ne se refuse pas.

Après avoir admirer ce festin, une petite faim traitresse peut se déclarer. Dans ce cas, tournez à droite dans la Grande Galerie. En demandant gentiment, vous pourrez peut être cueillir quelques fruits sur le tableau d'Arcimboldo … 

 * H. : 6,77 m ; L. : 9,94 m

Crédits photo :

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